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TAGLIOS SUR LE PIED DE GUERRE

Il y avait des années que je ne m’étais pas hasardé à pratiquer la chirurgie. Avant de m’y mettre, je tremblais, je doutais de moi. Mais sur-le-champ l’habitude a repris ses droits. J’avais toujours la main sûre. Qu’un-Œil nous a épargné ses habituelles démonstrations d’exubérance et a utilisé ses talents judicieusement pour contrôler l’hémorragie et estomper la douleur.

En me lavant les mains, j’ai dit : « J’ai du mal à croire que tout se soit si bien passé. Je n’avais plus effectué d’opération comme celle-là depuis que je suis gosse, pour ainsi dire.

— Elle va s’en tirer ? a demandé Qu’un-Œil.

— En principe. Sauf complications. Tu reviendras la voir tous les jours pour t’assurer qu’elle va bien.

— Hé, Toubib. Ça me donne une idée. Pourquoi tu ne m’achèterais pas un balai ?

— Quoi ?

— Quand je n’aurai rien d’autre en train, je pourrais toujours faire le ménage.

— C’est ça, du balai. » J’ai discuté brièvement avec les parents par l’entremise de Crapaud ; je leur ai donné quelques conseils pour la convalescence. Leur gratitude était étouffante. Je doutais qu’elle tienne longtemps. Les gens sont ainsi. Mais comme nous prenions congé, j’ai dit au père : « J’exigerai un paiement.

— Ce que vous voudrez.

— Ce ne sera pas négligeable. Quand le moment viendra. »

Il a compris. Il a hoché la tête, le visage grave.

Nous allions sortir dans la rue quand Qu’un-Œil m’a retenu : « Attends ! » Il a tendu le doigt.

J’ai baissé le regard sur les trois chauves-souris mortes disposées en triangle équilatéral. « Peut-être que les gars ne s’imaginent rien. » Les cadavres des chauves-souris étaient abîmés.

Un corbeau a croassé non loin.

J’ai marmonné : « Je prendrai l’aide où je la trouverai. » Et à voix plus forte : « Est-ce que tu saurais espionner des gens par l’entremise de chauves-souris ? »

Qu’un-Œil a réfléchi. « Moi, non. Mais ça pourrait être concevable. Même si ces bestioles ne brillent pas par leur intelligence.

— C’est tout ce que je voulais savoir. » Question accessoire : qui utilisait ces chauves-souris ? Les Maîtres d’Ombres, présumais-je.

Les journées de vingt heures ont commencé. Lorsque rien d’autre ne m’accaparait, j’essayais d’apprendre la langue. Quand on en connaît plusieurs, les nouvelles s’assimilent facilement. Ou plus facilement, du moins.

Nous avons essayé de faire au plus simple. Tout portait à croire que les Maîtres d’Ombres, pour leur passage en force, emprunteraient le gué de Ghoja. J’ai confié la défense des autres aux patriarches des différents cultes et je me suis concentré sur les moyens de saper l’élan du gros de la troupe ennemie. Car si elle réussissait à franchir le fleuve et à remonter vers le nord, il était à craindre que ne se reproduise la campagne de Cygne. Chaque victoire se paierait alors beaucoup trop cher.

J’ai commencé à former les cadres de deux légions basées sur le modèle en vigueur au temps jadis dans les Cités Joyaux, quand les armées étaient constituées de citoyens inexpérimentés. Les structures de commandement devaient rester aussi simples que possible. Elles se composaient d’infanterie uniquement. Mogaba assumait le rôle de commandant des troupes à pied et de chef de la première légion. Son lieutenant, Ochiba, conduisait la seconde. Chacun d’entre eux a désigné dix Nars comme sous-officiers, lesquels ont choisi chacun cent hommes parmi les volontaires tagliens.

Au total, chaque légion comptait donc mille soldats et cette base s’accroîtrait au fur et à mesure que les Nars leur apprendraient à marcher au pas. Mogaba a embauché Sifflote, Lion et Cœur pour du boulot d’administration. Je ne savais pas que faire d’autre de ces trois-là. Ils étaient pleins de bonne volonté mais pas bons à grand-chose.

Sindawe et les Nars restants devaient former une troisième légion d’entraînement et de réserve, à n’employer qu’en toute dernière extrémité.

J’ai chargé Otto, Hagop, les gardes et les Roïs de mettre sur pied une force de cavalerie.

Rutilant, Chandelles, Clétus et les autres d’Opale et de Béryl se sont attelés au plus marrant : l’intendance et la logistique. J’ai fourgué son neveu à Hagop. Encore un bras cassé.

Les idées directrices, pour la plupart, suivaient la ligne des recommandations de Mogaba. Il avait commencé à les appliquer pendant ma reconnaissance dans le sud-est. Je n’étais pas d’accord sur tout, mais ç’aurait été un péché que de gâcher tout le travail qu’il avait accompli. Nous devions prendre des options et avancer. Tout de suite.

Il avait réfléchi à tout. La légion de Sindawe fournirait des recrues aux deux unités meneuses et se formerait en tant qu’unité combattante à un rythme plus lent. Il ne croyait pas que nous puissions parvenir à monter une armée de plus de trois légions avant d’avoir acquis une sorte de savoir-faire local.

Madame, Gobelin, Qu’un-Œil et moi devions pourvoir au reste. À l’essentiel, aux tâches palpitantes, comme gérer les relations avec le Prahbrindrah et sa sœur. Comme organiser des opérations de renseignement, voir s’il y avait moyen d’enrôler des sorciers du coin. Établir une stratégie. Inventer des ruses. Ce bon vieux Mogaba voulait bien m’abandonner le travail d’état-major et le rôle de stratège.

À vrai dire, ça ne tombait pas mal. L’homme m’embarrassait avec sa compétence.

« Gobelin, m’est avis que tu devrais te coller au contre-espionnage, ai-je dit.

— Ha ! a fait Qu’un-Œil. Ça lui ira comme un gant.

— Emprunte Crapaud quand tu auras besoin de lui. » Le génie a poussé un gémissement. Il se serait volontiers abstenu de travailler.

Gobelin l’a regardé avec dédain. « Je n’ai pas besoin de ce truc, Toubib. »

Je n’aimais pas cela. Le petit bougre mijotait quelque chose. Depuis que nous étions revenus de notre équipée, il était d’une morgue ! Des ennuis en perspective. Qu’un-Œil et lui pouvaient s’abstraire dans leur querelle au point d’oublier le reste du monde.

On verrait bien.

« Comme tu voudras, ai-je dit à Gobelin. Du moment que tu fais le boulot. Je veux que tu m’identifies les agents dangereux des Maîtres d’Ombres. Puis on trouvera des mouchards pour leur faire de l’intox. Il faudrait aussi qu’on garde à l’œil les pontes religieux. Ils nous causeront du tort dès qu’ils auront trouvé le moyen de le faire. C’est dans l’ordre des choses. »

J’ai prié Madame de se consacrer aux chausse-trappes et à la planification. Je savais d’ores et déjà où je voulais affronter l’ennemi, avant même d’avoir levé mon armée. Je lui ai demandé de creuser ces questions. Elle était plus fine tacticienne que moi. Elle avait dirigé les armées d’un empire avec un brio époustouflant.

J’apprenais qu’une partie du travail de capitaine consiste à déléguer. Peut-être que le génie, c’est de choisir la bonne personne pour la bonne tâche.

Nous disposions de cinq semaines, plus ou moins. Le décompte avait commencé et le temps filait, filait, filait.

J’étais convaincu que nous n’avions pas une chance.

 

Personne ne dormait beaucoup. Tout le monde devenait grincheux. Mais c’est ainsi dans ce métier. On apprend à s’en accommoder, à comprendre. Mogaba me répétait que tout se passait pour le mieux en ce qui le concernait, mais je ne trouvais pas le temps de passer ses troupes en revue. Hagop et Otto étaient moins satisfaits de leurs progrès. Leurs recrues, appartenant à des classes sociales plutôt élevées, semblaient habituées à ce que la discipline s’exerce sur leurs inférieurs. Otto et Hagop ont dû recourir aux coups de pompe dans le derche pour leur apprendre à se tenir en rang. Ils ont proposé quelques idées intéressantes, comme celle d’incorporer des éléphants à la cavalerie. Le cheptel d’animaux recensé par le Prahbrindrah comptait quelques centaines de pachydermes dressés.

Je passais mon temps à courir partout dans la confusion, plus souvent en médiateur qu’en général. J’évitais de recourir à la coercition quand je le pouvais, préférant user de persuasion, mais deux des grands ecclésiastiques m’y contraignaient trop souvent. Si je disais noir, ils disaient blanc juste pour me faire savoir qu’ils se regardaient comme les vrais patrons de Taglios.

Si j’avais eu le temps, je me serais vexé. Je ne l’avais pas, donc je ne suis pas entré dans leur jeu. Je les ai convoqués avec leurs principaux sous-fifres, sous la houlette du Prahbrindrah et de sa sœur. Je leur ai dit que je n’avais cure de leur attitude mais que je n’entendais pas la tolérer, et qu’étant donné le peu de temps qui nous restait il n’y avait pas d’autre choix qu’obéir aux volontés de Toubib ou mourir. Si ça ne leur plaisait pas, je les invitais à ourdir leur meilleur complot contre moi. Suite à quoi je les ferais rôtir à petit feu sur l’une des places publiques.

Je ne me suis pas rendu très populaire.

J’y allais au culot… quoique. J’étais déterminé, mais j’espérais n’avoir pas à en arriver là. Mon prétendu tempérament violent les intimiderait le temps nécessaire. Ils me retomberaient sur le poil une fois réglé le problème des Maîtres d’Ombres.

Penser positif, toujours. C’est tout moi.

Je serais mort de faim si l’on m’avait donné un pain contre chaque minute où j’y croyais vraiment.

Des agitateurs se sont arrangés pour que la confrontation se sache publiquement. Selon certaines rumeurs, des temples fermaient leurs portes par manque d’affluence. D’autres devaient refouler des croyants en colère.

Formidable.

Mais combien de temps cela durerait-il ? La passion de ces gens pour les fredaines mystiques était plus vieille et plus ancrée que leur enthousiasme militaire.

« Que diable s’est-il passé ? » ai-je demandé à Cygne dès que j’en ai eu l’occasion. J’avais progressé dans la langue, mais trop peu pour saisir les subtilités de ces remous religieux.

« Je pense que Lame a fait des siennes. » Il paraissait songeur.

« Quoi ?

— Depuis qu’on est arrivés ici, Lame tient des discours subversifs, des bêtises comme quoi les prêtres devraient s’occuper des âmes et des karmas mais pas fourrer leur nez dans la politique. Jusque-là, il s’était contenté de causer dans notre taverne. Et quand il a entendu parler de votre prise de bec avec les grands ecclésiastiques, il est sorti dans les rues pour répandre ce qu’il appelait “la véritable histoire”. Ces gens sont pieux, c’est un fait, mais pas nécessairement dévoués à tous leurs prêtres. Je veux notamment parler de ceux qui les cramponnent par le porte-monnaie et ne les lâchent pas. »

J’ai ri. Puis j’ai tranché : « Tu lui dis de se calmer. J’ai assez de problèmes sans me coller en plus une révolution religieuse sur les bras.

— D’accord. Je ne crois pas que vous deviez vous inquiéter pour ça. »

Il fallait que je m’inquiète pour tout. La société taglienne vivait dans une extrême tension, même s’il fallait prendre du recul pour s’en rendre compte. Trop de changements s’opéraient trop vite pour une société traditionaliste et guindée. Les mécanismes conventionnels n’avaient pas le temps de s’ajuster. Sauver Taglios s’apparenterait à chevaucher une tornade. J’allais devoir garder le pied léger pour que la frustration et la peur restent dirigées contre les Maîtres d’Ombres.

Qu’un-Œil est venu me réveiller au milieu d’un de mes roupillons de quatre heures. « Jahamaraj Jah est ici. Il dit qu’il a besoin de te voir tout de suite.

— C’est pour l’état de sa gamine ?

— Elle va bien. Il est venu pour rembourser sa dette.

— Amène-le. »

Le prêtre s’est introduit furtivement. Il s’est incliné, fielleux comme un bonimenteur de rue. Il m’a donné tous les titres que les Tagliens avaient pu imaginer, y compris celui de guérisseur. L’appendicectomie était une opération inconnue dans ce pays. Il a jeté un coup d’œil alentour comme s’il craignait que des oreilles poussent subitement sur les murs. Ou peut-être était-ce un mouvement machinal. En tout cas, sa tête s’est allongée quand il a découvert Crapaud.

Fallait-il en déduire que certains savaient ce qu’était ce génie ? Je devais le garder à l’esprit.

« Est-ce qu’on peut parler sans risque ? » a-t-il demandé. J’ai compris sans traduction.

« Oui.

— Je ne dois pas rester longtemps. Ils me font sans doute surveiller, sachant que j’ai une immense dette envers toi, guérisseur. »

Allez, viens-en au fait, pensais-je. « Oui ?

— Il s’agit du grand ecclésiastique du Shadar, mon supérieur, Ghojarindi Ghoj, qui est sous le patronage d’Hada, une des incarnations de la Mort. Vous l’avez grandement peiné l’autre nuit. Il a dit aux Enfants d’Hada qu’Hada a soif de votre ka. »

Crapaud a traduit et ajouté un commentaire : « Hada est la déesse Shadar de la mort, de la destruction et de la dépravation, cap’. Les Enfants d’Hada constituent une sous-caste qui pratique le meurtre et la torture. Selon la doctrine, ils choisissent leurs victimes au hasard, sans mobile. Mais dans la pratique il s’avère que ceux qui meurent figuraient comme par coïncidence sur une liste noire de leur supérieur.

— Je vois. » J’ai souri brièvement. « Et qui est ton saint patron, Jahamaraj Jah ? »

Il m’a retourné mon sourire. « Khadi.

— Toute lumière et douceur, ça me va.

— Bon sang, non, chef ! C’est la sœur jumelle d’Hada. Tout aussi mauvaise. Elle se manifeste sous forme de peste, de famine, d’épidémies et autres joyeusetés. L’un des grands sujets de discorde entre les cultes de Gunni et de Shadar est de déterminer si Hada et Khadi sont deux déités distinctes ou deux facettes d’une même.

— J’adore. Je parie que la querelle a fait plus d’un mort. Et dire que ces prêtres me regardent d’un sale d’œil quand je leur dis que je ne les prends pas au sérieux ! Qu’un-Œil. À ton avis, je me trompe si je pense que notre ami ici manœuvre pour sa pomme sous couvert de s’acquitter d’une dette ? »

Qu’un-Œil a gloussé. « Je ne serais pas étonné qu’il espère devenir le prochain pontife du Shadar. »

J’ai demandé à Crapaud de lui poser la question sans détour. Il ne s’est pas démonté. Il a admis qu’il était le successeur le plus probable de Ghojarindi Ghoj.

« Dans ce cas, je considère qu’il n’a fait que me payer un intérêt. Remercie-le, mais dis-lui que la dette demeure. Dis-lui aussi que si jamais il se retrouvait brutalement à la tête du culte de Shadar, je serais très fier qu’il éduque ses ouailles et qu’il mette de côté son ambition personnelle pendant un an ou deux. »

Crapaud a traduit. Le sourire du prêtre a disparu. Ses lèvres se sont tordues en une petite moue pincée. Mais il a incliné la tête.

« Raccompagne-le, Qu’un-Œil. Je ne voudrais pas qu’il ait des ennuis avec son chef. »

Je suis allé réveiller Gobelin. « On a un problème avec les prêtres. Le dénommé Ghojarindi Ghoj m’envoie ses tueurs. Prends Murgen, file au bouge de Cygne et dégotte-moi son animateur anticlérical pour qu’il vous donne le signalement du bonhomme. Il a besoin d’une promotion sur un plan supérieur. Ça n’a pas besoin d’être spectaculaire, seulement déplaisant. Une petite leçon… définitive. »

Grommelant, Gobelin est allé trouver Murgen. Qu’un-Œil et Crapaud se sont mis en chasse d’éventuels assassins.

Ces sicaires étaient professionnels, mais pas assez bons pour échapper à l’attention de Crapaud. Il y en avait six. J’ai demandé à des Nars – ils pratiquent ce genre de choses – de les emmener sur une place publique et de les empaler.

Ghojarindi Ghoj s’est éclipsé le lendemain en direction de l’ouest. Il est mort brutalement d’une indigestion de clous. La leçon n’a été perdue pour personne.

La leçon, évidemment, c’était de ne pas se faire prendre.

Personne n’a paru courroucé ni chagriné. On considérait manifestement que Ghoj connaissait les risques et qu’il avait fait le choix. Mais la Radisha me regardait d’un air songeur tandis que nous discutions des mille épées supplémentaires que je réclamais, et surtout des cent tonnes de charbon de bois que j’avais réquisitionnées.

En vérité, nous marchandions. Je demandais cent tonnes quand il m’en fallait dix et je grognais, rouspétais, cédais finalement pour n’en être que plus intransigeant sur les armes.

Les recrues apportaient leurs armes personnelles. Ce que je voulais surtout me faire financer par l’État, c’était des engins dont je ne m’aventurais pas à expliquer l’intérêt à des civils. J’avais déjà bien du mal à convaincre Mogaba qu’une artillerie montée puisse servir à quelque chose.

Je n’en étais pas persuadé moi-même. Tout dépendrait des tactiques de l’adversaire. S’il se comportait comme précédemment, l’artillerie ne servirait à rien. Mais mon modèle restait les légions des Cités Joyaux. Ces gars-là trimballaient des machines légères pour creuser des trous dans les formations ennemies.

Et puis baste ! Il y a certaines choses qu’il faut entériner, fort de l’argument que je suis le chef et que je décide ce qui me plaît.

Mogaba était d’accord.

Plus que dix-sept jours, plus ou moins. Madame m’a rendu visite. Je lui ai demandé : « Tu seras prête ?

— Je le suis déjà, presque.

— Un rapport positif sur plusieurs centaines. Tu illumines ma journée. »

Elle m’a regardé bizarrement. « J’ai vu Trans’. Il s’est rendu sur l’autre rive. » Qu’un-Œil et Gobelin, désignés maîtres d’espionnage, n’avaient rien pu faire, tout bonnement parce que le Majeur était infranchissable. Ils n’avaient pas manqué de volontaires.

Le nettoyage de Taglios de ses agents ennemis leur avait pris à peine dix jours. Une poignée de petits gaillards à la peau brune avaient mordu la poussière. Quelques autochtones tagliens avaient gardé la vie sauve. Nous les abreuvions de beaucoup de vérité et de juste assez de mensonges pour qu’ils incitent leurs maîtres à opérer leur traversée en force où je le voulais.

« Ah. Et a-t-il appris quoi que ce soit d’intéressant ? »

Elle a grimacé. « Oui. Ton espoir se réalise. Ils feront passer le gros de leur armée par le gué de Ghoja. Et ils n’accompagneront pas leurs troupes. Ils ne se font pas assez confiance mutuellement pour abandonner leurs arrières.

— Magnifique. Soudain, j’ai l’impression qu’on a une chance. Peut-être une sur dix, mais une chance.

— Et maintenant, la mauvaise nouvelle.

— Je me doutais qu’il y en aurait une. Vas-y.

— Ils envoient cinq mille hommes supplémentaires. Dix mille traverseront à Ghoja. Mille à Théri et mille à Vehdna-Bota. Le reste à Numa. Il paraît que le gué de Numa devient franchissable deux jours avant celui de Ghoja.

— Aïe ! On pourrait se retrouver avec trois mille hommes dans le dos au moment fatidique.

— Ce sera le cas, à moins qu’ils n’aient rien dans le crâne. »

J’ai fermé les yeux et imaginé la carte. Numa était le gué où j’avais proposé à Jahamaraj Jah de poster ses forces du clan Shadar. Il avait dû recourir à la contrainte pour lever une troupe de deux mille cinq cents hommes. La plupart des Shadars voulaient attendre et intégrer notre force œcuménique. Contre trois mille vétérans, ils ne feraient pas un pli.

« De la cavalerie ? ai-je suggéré. On pourrait demander à Jah de prendre position sur la berge, de résister de son mieux, puis de se replier et de faire donner la cavalerie sur les flancs avant la débandade ?

— Je pensais commander à la légion de Mogaba de descendre là-bas, de les écraser, puis de remonter à marche forcée à Ghoja. Mais tu as raison. La cavalerie serait plus efficace. Tu penses qu’Otto et Hagop seront à la hauteur ? »

Hélas, j’en doutais. Prendre les choses en main n’avait jamais été leur fort. Sans les impitoyables Roïs prêts à croiser le fer à tout moment, leur troupe se serait apparentée à un cirque ambulant. « Tu veux t’en charger ? Tu as déjà commandé sur le terrain ? »

Elle m’a lancé un regard incendiaire. « Tu ne tournes plus rond ou quoi ? »

Bon. C’est vrai, j’en avais été témoin bien souvent.

« Tu veux ce commandement ?

— Si tu estimes que je dois le prendre.

— Je racornis devant le feu de ton enthousiasme. C’est d’accord. Mais n’en parle à personne tant que le moment ne sera pas venu. Et surtout pas au Jahamaraj Jah. Il ne mettra aucune ardeur au combat s’il sait qu’on doit venir à la rescousse.

— Entendu.

— D’autres nouvelles de notre ami le très discret ?

— Non.

— Qui est cette femme qui l’accompagne ? »

Elle a hésité un moment de trop. « Je ne sais pas.

— Étrange. Il me semble l’avoir déjà vue. Mais impossible de me rappeler où. »

Elle a haussé les épaules. « Au bout d’un moment, tout le monde finit par ressembler à quelqu’un qu’on a déjà vu.

— À qui je ressemble, moi ? »

Elle a répondu du tac au tac : « À Gastrar Telsar de Novok Debraken. La voix n’est pas la même, mais vos caractères se ressemblent. Il moralisait et se posait beaucoup de questions lui aussi. »

Comment protester ? Je n’avais jamais entendu parler de ce type.

« Il a d’ailleurs moralisé une fois de trop, mon mari l’a fait fouetter.

— Tu trouves que j’ai moralisé à propos de Ghoj ?

— Oui. Je crois que ta conscience t’a sérieusement travaillé, mais après coup. Il y a du mieux. Tu deviens assez malin pour agir d’abord et pleurer ensuite.

— Je ne crois pas que j’aie envie de jouer à ce jeu.

— Non. Il ne te plairait pas. Je vais avoir besoin d’un peu de ton temps pour que les tailleurs prennent tes mesures.

— Quoi ? Mais j’ai déjà un uniforme tape-à-l’œil.

— Rien à voir. Celui-là servira à tromper les hommes des Maîtres d’Ombres. Ça fera partie de la ruse.

— Soit. Quand tu voudras. Je peux continuer à travailler pendant qu’on me mesure. Est-ce que Trans’ sera là quand ça pétera à Ghoja ?

— On verra le moment venu. Mystère. Comme je te l’ai dit, il a ses propres desseins.

— Je crois que j’aimerais en savoir davantage là-dessus. Il t’en a touché un mot ?

— Non. Mogaba organise un simulacre de combat entre légions. Tu y vas ?

— Non. Je vais continuer de tanner la Radisha pour obtenir davantage de moyens de transport. J’ai le charbon de bois. Maintenant il faut que je l’achemine là-bas. »

Elle a reniflé. « Les choses étaient différentes, de mon temps.

— Tu avais plus de pouvoir.

— C’est vrai. Je vais appeler les tailleurs et les essayeurs. »

Je me demandais ce qu’elle avait en tête… Quoi ? Avais-je bien vu ? Incroyable ! Avait-elle vraiment balancé son postérieur en sortant ? Misère. Ma vue devait commencer à faiblir.

 

Réunion pour le rapport hebdomadaire. J’ai demandé à Murgen : « Où en est-on, pour les chauves-souris ?

— Quoi ? » Je le prenais au dépourvu.

« Tu nous as mis au courant de ce problème de chauves-souris. Je pensais que tu t’en occuperais.

— Je n’en ai vu aucune depuis un moment.

— Bien. Autrement dit, Gobelin et Qu’un-Œil ont fait efficacement le ménage. D’ici, tout paraît aller rondement. Sans doute mieux que nous pouvions le craindre. » Personne n’était venu me solliciter depuis un moment. Madame avait trouvé le temps d’aider Otto et Hagop à rabattre le caquet des cavaliers un peu trop hautains.

« Mogaba ?

— Il reste douze jours au pire. Il est temps d’envoyer des équipes surveiller le fleuve. Le pire n’est après tout qu’une estimation.

— La Radisha t’a devancé. Je lui ai parlé hier. Elle a affecté la moitié des postillons à cette tâche. Pour l’instant, le niveau est supérieur à ce qu’on attendait. Ça ne veut peut-être rien dire. Le temps peut encore changer.

— Chaque jour gagné grossit chaque légion d’une centaine de recrues.

— Où en es-tu ?

— Trois mille trois cents dans chaque. J’arrêterai à quatre mille. Il sera alors temps de se mettre en route, de toute façon.

— Tu crois qu’on peut descendre là-bas en cinq jours ? Ça fait du trente kilomètres par jour pour des gars sans entraînement.

— L’entraînement, ils l’auront. Ils en couvrent maintenant quinze avec le barda de campagne.

— J’irai les voir cette semaine. Promis. Je crois que je vois le bout de mes tractations politiques. Hagop. Tes gars seront prêts ?

— Ils sont en bonne voie, Toubib. Ils commencent à piger qu’on est sérieux quand on prétend leur enseigner à sauver leur peau.

— La menace est suffisamment proche pour qu’ils envisagent la situation autrement que comme un jeu. Gros Baquet. Où en êtes vous ?

— Procurez-nous cinquante chariots supplémentaires et on part demain, capitaine.

— Vous avez visité les faubourgs de cette ville ?

— Oui, chef.

— Combien de temps pour en faire quelque chose ?

— Ça dépend des matériaux. Pour la palanque. Et de la main-d’œuvre. Beaucoup de tranchées. Pour le reste, pas de problème.

— Tu auras ta main-d’œuvre. La troupe de Sindawe. Ils iront avec vous et suivront le mouvement plus tard, comme réserve. En revanche, je vais te dire, la matière première se fait rare. Pour finir, il vous faudra compter sur les tranchées plus que sur la palanque. Clétus. Où en est l’artillerie ? »

Clétus et ses frères ont souri. Ils semblaient fiers d’eux. « C’est réglé. Chaque légion possédera six pièces mobiles. Elles sont construites. On forme en ce moment leurs servants.

— Parfait. Vous irez avec les intendants et les ingénieurs examiner cette ville. Vous y placerez quelques pièces. Gros Baquet, plus tôt vous vous rendrez là-bas, mieux ça vaudra. Les routes seront vite défoncées. Si vous avez vraiment besoin de chariots supplémentaires, confisquez-les aux civils. Soyez plus prompts que moi à les extorquer à la Radisha. Bon. Quand est-ce que quelqu’un viendra me demander quelque chose dont je puisse m’occuper personnellement ? Vous savez pourtant qu’il me faut des problèmes à résoudre pour être heureux. »

Ils m’ont dévisagé avec une expression vide. Enfin Murgen a retrouvé la voix : « On va affronter leurs dix mille hommes avec nos huit mille ? Ça ne vous suffit pas comme problème ? Chef ?

— Dix mille ?

— D’après la rumeur. Il paraît que les Maîtres d’Ombres ont accru leur force d’invasion. »

J’ai jeté un coup d’œil à Madame. Elle a haussé les épaules. J’ai dit : « Nos renseignements sont peu fiables à cet égard. Mais on sera plus de huit mille en comptant la cavalerie. Et avec Sindawe, on les surclasse en nombre. De plus nous tenons le terrain. Et j’ai un stratagème ou deux dans la manche.

— Ce charbon de bois ? a demandé Mogaba.

— Entre autres.

— Vous ne voulez rien en dire ?

— Nan. Les informations ont la sale habitude de se répandre. Tant que je serai le seul à savoir, je ne pourrai m’en prendre qu’à moi si l’ennemi évente la mèche. »

Mogaba a souri. Il ne me comprenait que trop bien. Je voulais garder ça pour moi.

Nous autres commandants sommes ainsi, parfois.

Mon prédécesseur ne confiait jamais rien à personne avant le moment de passer à l’action.

Après coup, j’ai demandé à Madame : « Qu’est-ce que tu en penses ?

— Je crois qu’ils vont comprendre leur douleur. Je continue de douter sérieusement de nos chances de victoire, mais peut-être es-tu meilleur capitaine que tu ne veux bien l’admettre. Tu as su trouver pour chaque homme le poste où il pouvait donner sa pleine mesure.

— Ou commettre le moins de dégâts. » Sifflote et le neveu de Hagop ne m’avaient toujours pas montré à quoi ils pouvaient être bons.

 

Sept jours avant la date fatidique. Les intendants et ingénieurs, ainsi que la légion de réserve de Sindawe, étaient partis depuis deux jours. Des estafettes m’apportaient des nouvelles décevantes de leur progression. Les routes étaient dans un état déplorable. Heureusement, les habitants le long du chemin leur venaient en aide. Sur certains tronçons, les troupes et les autochtones portaient à dos d’homme le chargement tandis que les conducteurs menaient leurs chariots à vide dans la boue.

Nous étions bénis. Il continuait de bruiner quand les pluies auraient dû cesser une semaine plus tôt. D’après les rapports, le fleuve demeurait bien trop haut pour être franchi. Les équipes de surveillance tablaient sur un sursis de cinq jours.

J’en ai informé Mogaba qui, plus que quiconque, avait besoin de temps. Il a grommelé que son plus beau succès pour l’instant était d’avoir réussi à apprendre à ses troupes à marcher en rang.

De mon point de vue, il s’agissait d’une étape essentielle. S’ils pouvaient rester en formation sur le champ de bataille…

Ce n’est pas de gaieté de cœur que je lui accordais un délai supplémentaire. Chaque journée m’apportait des nouvelles sur les ennuis rencontrés par les détachements avancés et accroissait mon inquiétude.

Deux jours avant la date originellement prévue pour notre départ, j’ai convoqué Mogaba. « Tu te relâches parce que tu as davantage de temps ?

— Non.

— Pas le moindre répit ?

— Non. Cinq jours de sursis, ça fera cinq jours d’entraînement de mieux.

— Bon. » Je me suis radossé à mon fauteuil.

« Quelque chose vous tracasse ?

— Cette boue. J’ai envoyé Crapaud en reconnaissance. Sindawe est toujours à trente kilomètres de Vejagedhya. Qu’est-ce que ça donnera quand on descendra en masse ? »

Il a hoché la tête.

« Vous voulez partir plus tôt ?

— J’envisage sérieusement de lever le camp à la date prévue au départ. Juste au cas où. Si on arrive en avance, on pourra se reposer et peut-être parfaire l’entraînement sur le terrain. »

Il a hoché la tête à nouveau. Puis il m’a étonné par sa question : « Vous êtes sujet aux prémonitions, pas vrai ? »

J’ai haussé un sourcil.

« Je vous observe depuis Gea-Xle. Je commence à comprendre comment votre esprit fonctionne, je crois. Et parfois j’ai le sentiment que vous-même ne vous comprenez pas assez. Quelque chose vous a perturbé toute la semaine. C’est le signe qu’une prémonition cherche à s’affirmer dans votre esprit. » Il s’est levé de son siège. « Je retiens donc que vous partirez plus tôt. »

Sur ce, il a pris congé. J’ai réfléchi à cette idée : il disait comprendre le fonctionnement de mon esprit. Devais-je me sentir flatté ou effrayé ?

Je suis allé ouvrir une fenêtre et j’ai contemplé le ciel nocturne. J’ai vu des étoiles au travers des nuages. Peut-être les averses quotidiennes de bruine touchaient-elles à leur fin. Ou peut-être s’agissait-il seulement d’une pause.

Je me suis remis au travail. Pour traiter la tâche en cours, la énième de la liste, je travaillais avec Crapaud. Nous nous efforcions de découvrir ce qu’étaient devenus les livres manquants dans toutes les bibliothèques de la région. J’avais dans l’idée qu’un certain personnage officiel les avait secrètement amassés dans le palais du Prahbrindrah. La question était : comment mettre la main dessus ? Recourir à mon pouvoir de dictateur ?

« Ignore le fleuve.

— Quoi ? » J’ai balayé les alentours du regard. « Qu’est-ce que c’est ?

— Ignore le fleuve. »

Un corbeau se tenait sur le rebord de la fenêtre. Un autre est venu se poser près de lui. Il a délivré le même message.

Les corbeaux sont malins. Pour des cervelles d’oiseaux. Je leur ai demandé ce que cela signifiait. Ils m’ont répondu d’ignorer le fleuve. J’aurais pu les mettre au supplice qu’ils ne m’auraient rien dit d’autre. « D’accord. C’est compris. Ignorer le fleuve. Ouste ! »

Ces corbeaux. Ils me collaient en permanence. Ils essayaient de me dire quelque chose, sûr. Quoi ? Ils m’avaient déjà mis en garde. Voulaient-ils dire que je ne devais pas me fier au niveau du fleuve ?

C’était de toute façon mon intention, à cause de la boue. Je suis allé à la porte et j’ai tonné : « Qu’un-Œil ! Gobelin ! J’ai besoin de vous. »

Ils sont venus, l’air bougon, en se tenant bien à l’écart l’un de l’autre. Mauvais signe. Ils s’étaient volé dans les plumes. Ou, allaient le faire. Il y avait si longtemps qu’ils n’avaient pas actionné la soupape que l’explosion promettait d’être retentissante.

« C’est pour ce soir, les gars. Liquidez-moi les derniers agents des Maîtres d’Ombres.

— Je croyais qu’on avait un sursis, a ronchonné Qu’un-Œil.

— On en aura peut-être un. Mais peut-être pas. Je veux que ce soit réglé tout de suite. À vous de jouer. »

Dans sa barbe, Gobelin a marmotté. « À vos ordres, Votre Honneur, monsieur le dictateur. » J’ai rivé sur lui un regard noir. Il est sorti. Je suis retourné à la fenêtre et j’ai de nouveau contemplé le ciel qui se dégageait. J’avais comme le pressentiment que tout allait trop bien.

 

Jeux d'Ombres
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